Du Forum innovation défense (FID) au dernier salon SOFINS, en passant par la MIP de l’Agence de l’innovation de défense (AID) et des labels de type Generate by GICAT, le « combattant-innovateur » est aujourd’hui mieux soutenu et gagne progressivement en visibilité. Et pourtant, une importante marge de progression subsiste en matière d’innovation participative, soulignent les sénateurs Cédric Perrin et Jean-Noël Guérini dans un récent rapport d’information.
Parmi une douzaine de recommandations, les deux sénateurs estiment nécessaire d’ « exploiter au mieux l’innovation participative issue des militaires, usagers et innovateurs ». Ce processus, qui va de l’émission d’idées par les personnels de la Défense à la réalisation de prototypes puis au déploiement opérationnel, permet d’accélérer la boucle courte entre innovation et RETEX et, surtout, d’entendre les usagers. Soutenue par une LPM financièrement et culturellement favorable, l’innovation participative doit cependant être correctement orientée pour soutenir les « usagers innovateurs », précisent les sénateurs, qui évoquent quelques pistes d’amélioration.
Denrée des plus rares dans la profession militaire, le temps est un facteur clé du processus créatif. Il doit être à la fois suffisamment court pour répondre rapidement au besoin de l’utilisateur final, mais aussi assez long que pour fournir un système mature. Le processus créatif est particulièrement chronophage, et l’on ne compte plus les exemples de militaires consacrant la quasi-totalité de leur temps libre à leur invention. Rappelons, notamment, le cas du lieutenant-colonel Xavier du COS qui, durant cinq ans, aura consacré ses soirées et week-ends au développement du mini-drone V-COAX. C’est pourquoi le rapport sénatorial suggère de libérer 20% du temps des officiers, tout particulièrement dans les corps d’ingénierie, pour leur permettre de développer leur projet. Une idée judicieuse qui, en cas de succès, se devrait d’être élargie à n’importe quel militaire qui en ferait la demande, peu importe le grade ou la fonction.
Très efficace, la communication de l’AID laisse par ailleurs trop peu de place à l’innovation participative, au profit de grandes opérations, tel que le FID, regrettent les sénateurs. « Il s’agit sans doute d’un effet de transition, à surveiller toutefois », précisent-ils. À l’image de l’animation d’ouverture du défilé militaire du 14 juillet, il conviendrait selon eux de « donner plus de visibilité à l’innovation au sein des armées et des instituts armées ». Aux salons ou forum de Défense, difficilement accessibles à tout un chacun, pourraient venir se superposer une couverture audiovisuelle axée vers le grand public. « Sur ce point il serait intéressant de s’inspirer d’autres pays qui partagent à la télévision et sur les réseaux sociaux des innovations mises au point par leurs corps d’armées ce qui renforce d’ailleurs l’attractivité de ces carrières », suggère le rapport. Les nombreux reportages réalisés par TF1 ou France 2 durant ou en marge des festivités du 14 juillet l’ont prouvé: l’intérêt des citoyens pour l’innovation est particulièrement élevé, mais doit être savamment et régulièrement « alimenté » par les Armées. Car le pari est risqué, s’adjoindre les faveurs du public s’avérant potentiellement périlleux lorsqu’il s’agit de présenter les systèmes d’armes de demain. Le ministère des Armées pourra pour cela miser sur une cote de popularité presque stratosphérique, 85% des Français ayant actuellement une image positive de leurs militaires.
Enfin, il faudra inciter le militaire à sortir de son milieu pour se former aux défis des technologies et des nouveaux services. Cédric Perrin et Jean-Noël Guérini émettent ainsi l’idée d’une confrontation à d’autres écosystèmes, d’autres courants de pensée en prônant une participation des militaires, entre autres, aux sessions de l’Institut des Hautes Études pour l’innovation et l’entrepreneuriat (IHEIE). Le tout en adoptant une vision de long terme, nécessaire pour « fixer des objectifs de formation sur 5 ans en pourcentage des effectifs, tout en tenant compte des impératifs opérationnels ».
Reste à trouver le chef d’orchestre capable de fédérer cette pépinière de « Géo Trouvetou » que sont les forces armées. Or, qui mieux que l’AID, créée en septembre 2018, peut endosser le rôle de « moteur du développement de la culture de l’innovation, du risque et de l’agilité au ministère des Armées ». Celle-ci dispose en effet d’un pôle « innovation ouverte » dirigé par un colonel et destiné à devenir le bureau unique de tout innovateur. De salons de défense aux régiments, en passant par les entreprises, ce pôle permet à l’agence de capter l’innovation là où elle se trouve, pour ensuite lui fournir les leviers nécessaires, tel que le dépôt de brevets. Il soutient ainsi une soixantaine de projets par an, parfois financés à hauteur de quelques dizaines de milliers d’euros. Une manne financière que les deux sénateurs proposent de gonfler dès 2020, en partie grâce au resoclage du Titre 2 (dépenses de personnel), qui permettrait « d’allouer 2 millions d’euros par an à chaque armée, à la DGA et au SGA au titre de l’innovation ». Qu’elles soient financières ou autres, les perspectives au sein de l’AID sont en tout cas très positives. « Compte tenu de la synergie avec les autres départements de l’agence, cette innovation participative va être renforcée », affirmait ainsi le directeur de l’AID, Emmanuel Chiva, en février dernier lors d’une audition devant les sénateurs.
Les efforts significatifs consentis par la jeune AID ne la prémunissent pourtant pas de passer à côté de l’innovation présente en dehors des aires couvertes par la structure précitée. L’Agence peut d’ores e déjà s’appuyer sur de nouveaux relais ancrés au sein des forces, à l’image de la Cellule d’innovation et de transformation numérique (CITN) de l’armée de l’Air ou du Battle Lab Terre. En cours d’installation au sein de la STAT de Satory, ce dernier est doté d’un pôle innovation d’une trentaine de personnes. Le Battle Lab Terre coordonne en outre les référents innovation que l’armée de Terre souhaite mettre en place au sein de chacune de ses unités. Mais les deux sénateurs préconisent d’aller un cran plus loin dans l’implication des forces armées en mobilisant les réservistes. Certains d’entre-eux pourraient devenir à leur tour des référents innovation. Ils connaissent leur territoire, évoluent en permanence à la frontière entre les mondes civil et militaire, et participerait dès lors à la mise en place d’un maillage économique fin du territoire. En passant, par exemple, par les 48 agences décentralisées du réseau BPI, ces réservistes pourraient organiser une veille efficace des entreprises, clubs, et agences de développement local évoluant en marge des filières de défense.