Souveraineté : la France en état d’urgence absolue

Face aux appétits américains et aux ambitions chinoises et russes, Paris a-t-il les moyens de protéger son autonomie de décision, et de la retrouver dans des domaines clés comme le numérique ? Il y va de sa responsabilité.

La France est en guerre. Une guerre qui ne fait pas de morts mais qui laisse à la fin de chaque bataille perdue un champ de ruines industriel. Une guerre qui a pour enjeu la souveraineté de notre pays, soit l'autonomie de décision de la France en matière technologique et numérique. Cette guerre concerne également les domaines juridique, de la défense, de l'approvisionnement énergétique, de la protection des fleurons nationaux. Elle doit être menée non pour fossiliser et isoler la France mais parce que les États-Unis, qui se veulent le gendarme du monde, souhaitent tout contrôler et ainsi vassaliser leurs alliés.

Résultat, une course-poursuite s'est engagée entre Washington et ses principaux concurrents, notamment la Chine et à un degré moindre la Russie, qui veulent étendre leur zone d'influence. Le monde est redevenu un vaste jeu de Monopoly. Un état des lieux parfaitement résumé par le ministre de l'Économie Bruno Le Maire lors de son audition par la commission d'enquête du Sénat consacrée à la souveraineté numérique en septembre dernier : "Ces ruptures technologiques non seulement construiront ou non notre souveraineté politique, mais elles feront au XXIe siècle des vainqueurs et des vaincus, comme l'avait fait au XIXe siècle la révolution industrielle. Ceux qui maîtriseront les technologies de rupture seront les vainqueurs et leurs clients seront les vaincus".

Prise de conscience aiguë d'Emmanuel Macron

À l'Élysée, les sujets de souveraineté constituent désormais, semble-t-il, une priorité. Dans un entretien récent à l'hebdomadaire "The Economist", Emmanuel Macron a notamment indiqué que la France et l'Europe ne devaient pas perdre la main sur les réseaux télécoms en offrant un boulevard aux technologies chinoises : "Pendant des années, on a délégué aux opérateurs de télécommunications des choix souverains, des sujets d'intérêt qui ne peuvent être gérés par des entreprises". Sans le citer, le chef de l'État fait ici référence au géant chinois Huawei, qui a pris, ces dernières années, une place importante dans les réseaux mondiaux.

La prépondérance de Huawei, soupçonné d'espionnage, a fait figure d'électrochoc aux États-Unis, qui ont ostracisé le groupe chinois. Depuis, celui-ci est en grande difficulté pour préserver son influence et ses parts de marché dans les pays occidentaux. Si Huawei est perçu comme une menace, les géants américains du Net, les fameux Gafa, sont, eux, déjà au cœur des systèmes d'information et de communication. Y compris au cœur de ceux de l'État. Ainsi, les monopoles régaliens sont bousculés, attaqués. Les géants du Net entrent en concurrence avec les États sur l'identification des personnes, sur le privilège de battre monnaie (avec l'essor des crypto-monnaies) ou sur la sécurité intérieure.

Un véritable pillage financier et industriel

La prise de conscience se fait aussi jour dans le domaine juridique. Après une décennie de pillage financier et industriel mené par le ministère américain de la Justice (DoJ), la France semble enfin se réveiller doucement. En 2014, le rachat de la branche énergie d'Alstom, celle qui fabrique des turbines pour les sous-marins nucléaires français, par l'américain General Electric a suscité une forte controverse, et une levée de boucliers contre les lois extraterritoriales américaines.

En juin 2019, le député LREM Raphaël Gauvain a rendu un rapport à charge contre l'activisme juridique américain"Il y a une instrumentalisation de ces procédures extrajudiciaires par les pouvoirs publics américains, dénonce-t-il. Sur les 24 plus grosses condamnations du DoJ dans des affaires de corruption, 14 concernent des entreprises européennes. En revanche, les entreprises américaines sont la plupart du temps épargnées". Le rapport Gauvain aura-t-il une suite législative ? Ou prendra-t-il la poussière sur le bureau de Matignon ?

De lourds investissements pour rester à la table des grands

En matière de défense, la question de la souveraineté se pose aussi. Depuis la crise du canal de Suez en 1956, la France s'est découverte comme une puissance de second rang. Elle n'a plus l'envergure de lancer des opérations sans le feu vert d'une très grande puissance. En dépit de ses capacités opérationnelles reconnues, y compris par les États-Unis, elle reste dépendante de la technologie et de la force de frappe américaines. C'est vrai au Mali, comme ce fut le cas en Libye.

C'est pour cela qu'elle doit investir puissamment dans les nouvelles technologies, non pour faire cavalier seul, mais pour rester un allié de choix. Des technologies qui sont portées aussi bien par des fleurons nationaux (Thales, Dassault, Safran, Naval Group, Nexter) que par des startups (Kalray, Cailabs, CerbAir, Diodon, Internest, Linkurious) stratégiques pour la base industrielle et technologique de défense (BITD) française. C'est pour cela également que depuis un an, Bercy cherche à protéger ces pépites contre l'appétit des puissances étrangères, qui  souhaitent profiter de leur savoir-faire reconnu. C'est ce que nous indique Thomas Courbe, le patron de la Direction générale des entreprises (DGE) : "Concernant les entreprises de la BITD, nous travaillons en étroite collaboration avec le ministère des Armées et la Direction générale de l'armement".

Un ouragan numérique

Aujourd'hui, l'ancien monde est balayé par la révolution numérique. Mais, dans ce domaine, la France comme l'Europe se sont fait vassaliser par les États-Unis et leurs Gafa. Les géants du Net ont mis la main sur le gros des précieuses données des citoyens, des entreprises et des États du Vieux Continent. Tout l'enjeu désormais est de trouver le moyen de s'émanciper. Mais l'Europe des 28 est une mosaïque d'intérêts nationaux particuliers, donc différents. Pourtant, comme le rappelle Pierre Bellanger, le PDG de Skyrock, devenu une référence en matière de souveraineté numérique, celle-ci "est aussi importante que la souveraineté nucléaire. Sans cette maîtrise, nous serions devenus une nation sous tutelle".

La France a-t-elle les moyens de s'arroger une souveraineté dans l'espace numérique ? Thierry Breton, ex-PDG d'Atos et nouveau commissaire européen en charge de ces dossiers, y croit. "La France, comme beaucoup d'autres pays, dispose des moyens de s'approprier cet espace. Une telle démarche relève de sa responsabilité. C'est un élément de la souveraineté", a-t-il estimé lors d'une audition au Sénat à ce sujet. À Emmanuel Macron de relever le défi.

Source : La Tribune

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